LESLIE nous parle de THE LAST WALTZ ! ( film RNR )
"The Band"... Ce nom suffit pour faire remonter à votre serviteur des bouffées d'extase : les tournées cahotiques avec Bob Dylan en 65-66, les Basement Tapes, leurs premiers albums (jusqu'à "Rock Of Ages") d'un niveau très élevé... Mais là, il faut s'attaquer à leur testament, celui considéré par Newsweek comme le plus grand film rock jamais réalisé... Alors prenant mon courage à deux mains, je décide de me jeter à l'eau...
Dèja, pour ce concert d'adieu, il convient de reconnaître que The Band a vu les choses en grand : le Winterland, salle mythique des seventies par excellence, des décors empruntés à l'opéra de Frisco (ceux de "La Traviata"!!!), un metteur en scène féru de rock et en pleine bourre (Martin Scorcese)... Ce qui pourrait passer pour un pêché de vantardise alors que "The Band" reposait sur une modestie et un côté "anonyme" de bon aloi...
Car "The Band" est avant tout une histoire
d'hommes : 4 Canadiens et un gus de l'Arkansas, sudiste jusqu'au
trognon!!! Respectivement, Garth Hudson (orgue et beaucoup d'autres),
Richard Manuel (piano, batterie et beaucoup d'autres), Rick Danko
(basse et bon vous avez compris!!!), et Robbie Robertson (guitare et
même régime que les autres). Et dans le rôle du Yankee (oups, pardon Mr
Helm...), euh, du Ricain pur jus, Levon Helm (batterie, mandoline et
beaucoup d'autres).
Et en plus de s'échanger leurs instruments,
ces mecs se partagaient les parties vocales!!! Manuel avait la voix la
plus émouvante de toutes, comme un ange soul brisé par l'alcool et la
tristesse, Danko voulait jouer dans le même registre mais était trop
sûr de lui, et Helm jouait comme une sorte de figure paternelle, virile
et sûre. Robertson et Hudson n'assurant en général que les parties de
choeurs...
Le décor étant planté, passons au film!
Scorcese a eu la bonté de nous épargner les valses, les récits des
poètes beat de Frisco comme Michael Mc Clure ou Allen Ginsberg...
Donc
le film s'ouvre sur...la fin du concert!!! On y voit "The Band" jouer
un ultime rappel devant une foule extatique nullement rassasiée par
trois heures et demie de concert...
Pour boucler la boucle, ils
décident de jouer un vieux standard soul de Marvin Gaye, "Don't Do It"
: titre qu'ils jouaient dèja dans les bouges du sud des Etats-Unis au
temps béni des Hawks.
Le film se compose en deux parties : des
témoignages à la fois hilarants et émouvants sur le cheminement du
groupe, et des extraits du concert proprement dit.
Ah, j'avais
oublié de vous dire : pour faire les choses bien, The Band a décidé de
convier quelques potes de passages comme ça, pour voir... (Robertson :
"It had to be more than just a concert, it had to be a
celebration!!!"). Visez un peu la gueule des amis : Ronnie Hawkins,
Neil Young, Joni Mitchell, Dr John, Neil Diamond, Paul Butterfield,
Muddy Waters, Eric Clapton, Bobby Charles, Van Morrison, Ringo Starr,
Ron Wood, et last but not least, Bob Dylan!!! Pour une fois, on peut
vraiment dire que c'était la fête de la musique!!!
Les interviews sont souvent fendardes : anecdotes sur les années de vaches maigres, boeufs avec l'immense Sonny Boy Williamson, quequette ou pas quequette... Mais le véritable plat de résistance, c'est quand même la zizique!!!
Et là, c'est la caverne d'Ali Baba : tous
les invités présents tiennent à être à la hauteur pour faire honneur à
ce putain de groupe! Après "Up On Cripple Creek" et "The Shape I'm In"
executés avec maestria par le groupe seul, le premier invité est
annoncé : "The Hawk" Ronnie Hawkins, rocker sudiste qui a vu les débuts
du Band en tant que groupe (en gros, c'était leur premier employeur!),
qui culbute "Who Do You Love" de Bo Diddley, avec une partie de gratte
rythmique de Robertson pas piquée des vers!!!
Après un "It Makes
No Difference" émouvant mais un peu forcé (Rick Danko trademark!!!), Dr
John vient égayer la soirée avec sa jovialité habituelle typically New
Orleans : "Such A Night" donne envie de partir dans le French Quarter
de Crescent City pour boire et mater les boobs des chicks qui passent à
portée de vue, parce que "If I Don't Do It, Somebody else will!!!"
Puis
Neil Young donne envie de le rejoindre pour visiter ses plaines de
l'Ontario sur un "Helpless" déchirant (malgré ses narines pannées qui
ont nécessité les retouches de Scorcese au montage...)
"Stagefright" marque une pause dans le
set, sympa mais sans plus. Survient alors le premier moment d'émotion
pure du film : une version de leur hymne "The Weight" enregistré avec
les légendaires Staples. Celui qui ne fond pas en entendant les
interventions de Mavis Staples et de Pope ne peut être considéré comme
un véritable être humain!!! On touche ici à la beauté pure!!!
Si
on célèbre la musique américaine, le gospel doit avoir droit de cité,
et c'est fait de façon magistrale. La tension ne retombe pas puisque le
Sudiste de la bande (Helm) assène un "The night They Drove Old Dixie
Down" à se faire engager dans les troupes du Général Lee, soutenu par
les cuivres arrangés par le génial Allen Toussaint. La musique proposée
est d'un niveau surhumain...
Même ce vieux con de Neil Diamond, symbole du vieux show-business moisi (mais invité par The Band pour rendre hommage à l'époque de Tin Pan Valley), parvient à être à peu près convaincant sur "Dry Your Eyes"... Alors le deuxième moment de grâce peut survenir : la divine Joni Mitchell interprète son magnifique "Coyote". Et le Band est loin de démériter en jouant les parties initialement prévues pour Jaco Pastorius ou Larry Carlton... Le résultat n'a pas quitté mon baladeur depuis 4 ans...
Suit une version survoltée du "Mystery
Train" popularisé par Elvis, portée par la voix rocailleuse de Levon
Helm en forme olympique et l'harmonica de Paul Butterfield qui s'en
donne à coeur joie!
ET LA SURVIENT LE MIRACLE : ce bon vieux Muddy
Waters eclipse tout le monde le temps d'une interprétation hantée de
son bon vieux "Mannish Boy".
A soixante ans sonnés, il en parait
21 comme dans la chanson!!! (le témoignage de Scorcese dans les bonus
du DVD est parlant). Après cela, Clapton parait tout mou, décapité
qu'il est par Robertson dans une reprise de "Further On Up The Road"...
Le côté country du groupe est mis en scène
dans une reprise du vieux standard "Evangeline" enregistré en duo avec
la sublimissime Emmylou Harris (ouais, l'ex de Gram Parsons, ça
calme!!!). Le "Ophelia" qui suit ne prête pas à conséquence.
Van
Morrison laisse de côté son personnage légérement casse-bonbons pour
donner l'impression de se marrer sur une reprise enjouée du "Caravan"
de Sir Duke. Mais c'est dèja l'heure du gâteau!!!
L'air de rien, le Band annonce un
ami...Bob Dylan... La salle explose, et franchement il y'a de quoi!!!
Toujours sous l'effet bénéfique et bordélique de sa "Rolling Thunder
Revue", Dylan livre un passage électrisant, concerné et paroxystique
dont l'on retiendra un joli "Forever Young", et la furie de "Baby Let
Me Follow you Down". Même le Zim' est en rogne à l'idée que le plus bel
orchestre US de l'époque est en train de se déliter sous ses yeux!!!
La
jam finale sur "I Shall Be Released" qui voit l'intervention (très
anecdotique) de Ringo Starr et Ron Wood ne change rien à l'affaire, la
partie s'est jouée depuis longtemps!
Seulement, après ce concert de louanges,
je dois tempérer mes ardeurs. Et ce par la faute d'un seul homme :
Matin Scorcese lui-même!!! Aveuglé par sa fixette sur Robbie Robertson,
il en oublie plus ou moins de filmer les autres...
Si Danko et
Helm s'en sortent pas si mal, que dire de Hudson (pas interessé), et
surtout de ce pauvre et regrétté Richard Manuel ? Le "I Shall Be
Released" final (où il chante un couplet entier...), son morceau
symbolique!!!, est complètement saccagé, il n'a droit à aucun gros
plan!!! Scorcese se conduit comme une groupie en filmant le plateau de
stars... Levon Helm ne lui a jamais pardonné, et moi non plus...